Autour des continents
Je demande l’indulgence une seconde chance
l’ajout de quelques amendements au Grand Protocole
l’ajout de quelques pièces à charge
de la grande plomberie je ne compte plus les fuites
comment dire…
j’ai pris la mesure
j’ai pris de l’envergure
et… j’ai croqué mon cyanure
l’élixir
n’est pas de ce monde
la panacée
n’est pas plus dans l’autre
le promis
en fait il faudrait marquer une belle croix à l’agenda de l’idéal :
remis à plus tard
au terme de l’éternité
c’est-à-dire à jamais
je me sens souvent comme une feuille déposée à terre par l’automne
qui chaque fois devrait remonter à sa branche
et faire un nouveau bourgeon
à rebours de la lassitude et du renoncement dont j’ai fait mes meilleurs amis
mais enfin que dis-je ?
bien entendu le printemps reviendra
la marée remontera le pain lèvera
bien sûr petit je retrouverai un emploi
bien sûr on partira en vacances et tu grandiras
tu verras
tu verras
même si mon histoire ressemble aux mythes anciens
entre fatalité et héroïsme
chaque jour de mon quotidien de fer
me rappelle le défunt âge d’or
quand j’ai connu ta mère
et que je croyais avoir fait des provisions d’amour pour tous les hivers à venir
la semence des aubes dorées
le fruit des cendres solaires
nous entonnions l’hymne sacré
des sacrements le plus sacré
je rangeais méticuleusement mes baisers sur un bout de ta peau
des jardins secrets le plus sucré
l’amour : nos esprits faisaient corps
n’y avait-il pas comme un lit à faire, des draps neufs
à froisser, l’esquisse d’une chorégraphie ?
capturer des possibilités d’étreinte
dans l’archipel de mes pensées
tu occupais au moins cent îles
et je pagayais pagayais pagayais
la chair brait comme un âne
le chant du monde à pierre fendre
tout est à prendre
ou à se méprendre
nous nous sommes mépris peut-être n’étions-nous pas si épris
et voilà qu’aujourd’hui nous nous méprisons
mais moi je dis
ce soleil perdu en banlieue de l‘univers
banale étoile
qui s’étiole
insignifiante montagne dans l’immense
il y a quatre-vingts au moins
continents pour un seul explorateur
ce ne sont pas mes doigts ce sont dix météores
qui sillonnent le ciel de ta peau
ce ne sont pas mes doigts mais dix fers portés au rouge
et ton corps est la neige
tu es l’impératrice dénudée
une simple anonyme que son anonymat écorche
tu es le jardin
tu es le secret retrouvé ou renouvelé
tu es la joie éprouvée
tu es une pomme d’or à croquer et on emmerde tous les dieux
dans la pulpe de tes lèvres et baiser de mer et mon dos est aquarium
je suis prêt je t’en fais le serment à baguer toutes les colombes que tu lâcheras dans mon univers
il pleut des symboles
la mousson est miraculeuse
la rivière sans fin
génération après génération
le rythme des saisons ou l’oscillation de la faux
j’ai la conviction à portée de voix
le poing inscrit dans la main et la volonté en chacun de mes muscles
c’est une vaste pulsation
des centaines de méditerranées stationnées par-delà le goulot
ouvrons toutes les vannes
sous la ligne de flottaison
éclosions
et si le corps l’esprit et la nation sont trois fois prison ?
nous planifierons quatre évasions
et si la panification elle-même était une nouvelle prison ?
et bien… nous improviserons ?
les kilomètres dansent
sous la voûte uniforme
que chaque route salue comme il se doit
ainsi que chaque ville
eu égard à son grade sans doute
un château vient d’apparaître
Limburg est le nom de sa zone de rayonnement
soleil tardif dans la pupille noire de la nuit
les étoiles effrayées par tant de lumières se refusent à nous
les nouvelles s’échangent maintenant en morse
ce sont deux phares
on ne saurait dire lequel est le premier
et puis deux
et deux et deux encore et ainsi de suite
comme une marée montant par paires
il y a les rouges qui fuient et les blancs qui fusent
et il y a un grand rideau opaque tout autour de la scène
les lucioles disparaissent dans les coulisses de notre horizon
c’est peut-être un grand architecte
qui a établi toutes les trajectoires
chacun roule à sa destinée à sa destination
la scansion des grands panneaux bleus marqués de noms étranges
les bourgades endormies ne se retournent même pas à notre approche
les arbres eux-mêmes se cantonnent à découper leur silhouette sur un fond plus obscur encore
il n’y a rien à voir et nous voici prisonniers de nous-mêmes
alors les conversations peu à peu se feutrent et le corps sombre dans le roulis
douce hébétude
parfois une fenêtre tardive s’ouvre et tend les bras
comme pour lâcher des colombes
évidence des rêves
étrange comédie d’images tissée sur la partition du trafic
cette nuit m’en rappelle d’autres
car voici que s’enclenche la mécanique implacable de la souvenance
une nuit passée au sommet du mont Canigou entre le froid
et la pente menaçante
nous n’osions fermer les yeux de peur d’être emportés par la gravité
une nuit d’inquiétude
mais emplie d’étoiles filantes d’introspection et au bout du voyage intérieur
la pâleur nouvelle du ciel
un étrange adoucissement à l’horizon
adieu des étoiles
on se revoit demain à la même heure !
cette nuit m’en rappelle d’autres
passées à scruter le plafond
essayant de percer quelques mystères via les périphériques brouillés de mes sens
attendant le miracle sommeil
cette nuit m’en rappelle d’autres
fiévreuses à la poursuite d’une chimère ivresse ou plaisir
et la peau déployée comme un immense drapeau
qui prenait tout le vent du monde
à la cime d’un rêve partagé
cette nuit m’en rappelle d’autres encore
celles dont on revient l’âme comme rajeunie
si pas complètement guérie
cette nuit me rappelle toutes nos nuits
le long serpent de la mémoire s’entortille encore
ne finira donc t’il jamais ?
hydre donc chaque carrefour coupe les têtes
les psychanalystes l’enfourchent pour le dompter
mais lui seul sait qui est le berger et qui le troupeau
et bientôt je rêve de printemps
de reverdissements de morts à rebours
d’inversions inopinées
de corps chus qui se relèveraient
d’êtres déchus qui deviendraient leurs propres sauveurs
de mauvais choix qui seraient à refaire
ma raison dit ridicule moi je réponds spatial
j’ai l’esprit vaste comme l’univers
aussi ne me parle plus et endors-toi
endors-toi réalité
immondice
chimère
comme le bois souvent s’alliait à la pierre ancienne
au pied des escaliers attendent tant de sans-abris
peut-être le dernier métro qui les emmènera vers la dignité
que certains leur refusent
alors qu’à l’étage supérieur les boutiques butinent les passants
chaque branche fleurit de mille bourgeons c’est la restauration italienne, asiatique ou rapide
c’est l’artefact ou l’artifice
et quelques havres clairsemés où mouille en paix l’artisanat local
les bras sont musclés dans les ateliers et les visages burinés
les corps épais les mains calleuses les jambes dans la boue
l’escalator social est en panne – prière de monter à pied
celui qui, assis sur un tas immense, pleure
celui qui a réuni sa famille
celui qui creuse chaque jour
un poids sur l’âme
les épaules basses
l’humeur à la baisse
l’esprit à la baise
assurer
les
fonctions
vitales
manger dormir un minimum de travail et un quignon de plaisir
celui qui se dérobe à moi chaque fois que je me demande :
mon dieu, que nous réserve l’année finissante ?!
j’ai envie de dire : « merde ! »
je prendrai le pouls du vent et
le vent en pleine gueule
hé ça vaut la peine de gueuler !
rien que pour faire tourner le moulin des pensées
le monde court vraiment trop vite
pour mon petit cœur de rien du tout
ma main à peine assez grande pour une poignée de terre
mon double poumon pour une bouffée d’air
et tant d’histoire(s) pour ma si petite mémoire
les traits de l’orage et les traits de ton visage
cueillir aux mains de singe
les fleurs broussailles des songes
un mot suffit à convoquer tous les astres :
galaxies !
c’est une fleur que chaque mot
oserai-je avouer avoir mal au dos
d’en avoir tant et tant cueillies
chacun chasse ses grizzlis
je répugne au meurtre
l’idée même m’en heurte
en chaque tronc coule un rêve
fleuve sans barrage paix sans trêve
le marin a ses vagues et le fruit de la treille
la chanson du large plein les oreilles
ne l’ancre pas à terre : chômage,
on rêve moins loin depuis la plage
et crois-moi sur parole quand je dis :
l’usine n’est pas l’avenir des peuples