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I comme

Balance ton porc

7 Novembre 2017 , Rédigé par T.B. Publié dans #De rebus publicis

 

Regardant au commentaire d’où phénomène social, tout dépend où l’on place le centre de gravité de la problématique : dans cette affaire est-il question de la souffrance des femmes, de la libération de leur parole, de la souffrance des hommes consécutive à la réponse violente des femmes à la violence qui leur est faite, ou d’un problème de moralité juridique ? Sans aucun doute des quatre, mais pas à poids égal. La pondération variant évidemment selon le point de vue de l’analyste qui le portera à être complaisant ou indigné, justifiant ou accusant, nommant et modalisant le phénomène dont il entend révéler le véritable sens ou souligner les dangers qu’il recèle, voire les deux.

La souffrance des femmes

La première chose à faire, semble-t-il, serait de l’entendre. L’habitant de Pompéi ne fait pas la sourde oreille quand le Vésuve rugit, de même tout observateur du phénomène en question – nul besoin d’être diplômé en géologie sociale – doit d’abord écouter. Et ensuite, tâcher de comprendre. Car comprendre n’est pas excuser, ni légitimer, et même les plus fervents phallocrates pourraient s’essayer à l’exercice. Ne comptons pas sur eux, toutefois. Il faut entendre.

Et qu’entend-on ? L’ampleur, déjà, la transversalité, ensuite. La preuve par les exemples de tout ce qu’une critique féministe du patriarcat et du capitalisme avait établi : les dominations (sexuelles, économiques, culturelles) dont les femmes sont l’objet, les rapports de sujétion dans lequel elles sont maintenues traversent tous les espaces sociaux. La domination masculine, le patriarcat, la violence faite aux femmes et partout et tout le temps. Ce n’est pas de la paranoïa, l’explication est même assez simple : tout un chacun ayant été, de par son immersion même dans la société, biberonné aux définitions dominantes de la féminité (et de la masculinité, et de toutes les manières d’être valorisées et dévalorisées dans les groupes sociaux), tout un chacun s’en fait, inconsciemment, le héraut et le défenseur. Ainsi, les passagers d’un bus regarderont avec curiosité, voire désapprobation, une personne non conforme aux identités sociales habituelles qui vivra ce surcroît d’attention comme une violence commise à son endroit.

La libération de la parole

Quand une souffrance n’a pas de lieu social où elle puisse être dite, et entendue, alors, un jour, pour d’impénétrables raisons, elle explosera violemment. Tel est le cas des chômeurs qui s’immolent, des désespérés qui attaquent des policiers ou des inconnus, des salariés qui se suicident, des vandales qui cassent, des blancs déclassés qui vomissent leurs voisins bronzés. Si ces paroles dénonciatrices ont fleuri sur les réseaux sociaux, c’est justement parce qu’il n’y a pas d’autre structure d’accueil à cette expression de souffrance. En tout cas, aucune qui soit adaptée au caractère massif du phénomène.

Pour qu’une parole soit libérée, il faut qu’elle ait la capacité d’être entendue au plus large, y compris par ceux qu’elle vise. Ainsi de la politique institutionnelle, où l’on peut dire à ses adversaires qu’ils se fourvoient et se fourrent le doigt dans l’œil, bref, qu’ils se gourent systématiquement sur à peu près tout. Ainsi de la lutte syndicale et du droit de manifester son désaccord. Si, Twitter, à l’instar de tout média, est un endroit idéal pour construire un événement médiatique, lequel produira dans un deuxième temps des effets politiques incertains, ce n’est pas le lieu de constitution d’un événement politique. Car pour cela, il convient de se réunir, de s’organiser, d’éprouver sa force avant de la mobiliser à tout niveau de pouvoir afin de peser sur la balance politique. En l’absence de mouvement politique structuré, cette parole débordante sera reprise, captée par des imposteurs plus ou moins sincères. Et c’est peu dire que l’on ne peut pas compter sur les convertis de la dernière heure – tel ou tel politicien, voire ministre, de service – pour prêcher, in fine, autre chose que la défense de leurs propres intérêts.

On se souvient, il y a deux ans, de l’appel à témoignages atour de la violence au travail lancée par des youtubers, dont on peut trouver la recension sur le site On Vaut Mieux Que Ça[1]. Le succès avait été au rendez-vous, et certainement l’initiative avait produit des effets dans le champ politique mais ce genre de coup ne suffit pas pour rendre visible dans la longue durée une structure de domination niée au quotidien sous l’espèce des topoï de la libre adhésion du salarié au projet patronal, et de son investissement affectif en vue de sa pleine réussite. Aussi attend-on massivement les féministes – et surtout les femmes –dans la rue et dans les médias, dans la lutte politique, c’est à ce prix seulement qu’elles garantiront la pérennité de leur accès à une parole dénonciatrice et revendicative audible.

La souffrance des hommes

Les hommes souffrent. Certes. Est-ce important ? Oui. Faut-il en parler ? Évidemment. Qui doit en parler ? Les hommes, sans doute. Les féministes ?…

Il convient ici de faire un détour conceptuel. Quel est l’ennemi du féminisme ? Ce ne sont pas les hommes mais bien les structures de la domination masculine. D’ailleurs on parle de plus en plus souvent de genre. Que les hommes soient soumis à des impératifs de virilité comme leurs consœurs humaines à des impératifs de féminité, la chose est établie. On me reprochera le rapprochement mais en étudiant avec des lunettes marxistes une autre structure de domination : le capital, on établira tout aussi bien que les ouvriers sont aliénés et les patrons aussi. Chacun en effet subit des effets d’imposition sociale qui formatent leurs désirs et leurs comportements. En somme, certains se tapent le bodybuilding, d’autres l’épilation. L’univers social est coercitif pour tout un chacun : sans doute. Mais pas au même degré. Certains habitent les bidonvilles, d’autres des châteaux ; certains lisent le journal pendant que d’autres lavent la vaisselle. Bref, toutes les souffrances ne se valent pas. Contre lesquelles choisir de se battre sinon celles qui s’exercent avec le plus d’ampleur au travers du corps social ?

En outre, on conçoit bien que si le projet féministe est de débouter l’homme de son trône, il faudra bien botter le cul des hommes concrets qui y sont installés, peut-être malgré eux d’ailleurs vu qu’ils sont tout autant pétris que les femmes par les structures sociales. Violence sera faite aux uns afin d’émanciper les autres, en attendant l’âge béni des sociétés égalitaires. Et oui, c’est comme ça…

En somme, pour répondre à la question laissée en suspens : laissons les groupes dominés définir leurs priorités. Sans doute le discours féministe gagnerait-il à reconnaitre pour coupables les structures sociales de domination et non les seuls individus (ce qui n’évacue pas la responsabilité des hommes violents, on peut abuser d’une posture de pouvoir que l’on n’a pas contribuée à créer) et par-là à reconnaître la souffrance masculine. Et si j’en crois mes livres, ça fait longtemps que c’est le cas.

La délation

L’identification d’une pratique ou d’un discours au nazisme ou à ses collaborateurs à fins de disqualification est une pratique vieille comme… la seconde guerre mondiale. Mais nul besoin d’examiner le lourd limon que charrient pareilles dénotations, ni même de s’attarder sur la pertinence de telles comparaisons historiques, un retour à la définition du terme s’avère profitable. À en croire le Trésor de la Langue française, la délation consiste en la « dénonciation, généralement secrète, dictée par des motifs vils et méprisables »[2]. En substance donc, rien n’est plus faux que de taxer l’exposition des « porcs » de délation puisque la pratique n’est ni secrète, ni dictée par des motifs vils. Et encore… cette définition ne mentionne pas l’institution punitive qui est normalement destinataire du message.

Il s’agit de dénoncer, simplement. De dénoncer des comportements ou des individus, nommément, allusivement ou génériquement, de salir quelques noms, sans doute, de se venger, parfois, de diffamer, oui, peut-être dans certains cas. Mais au premier chef, dénoncer. Et d’aucuns de regretter que cette dénonciation soit faite en dehors des locaux idoines de la police et des tribunaux, chambres d’enregistrement… et d’assourdissement. Car si l’appareil judiciaire faisait son travail[3] – il existe des lois condamnant le viol, les violences conjugales, le harcèlement,… et pourtant l’impunité des agresseurs atteint des taux record – il y a fort à parier que les plaintes y seraient multipliées. Aussi la dénonciation touche-t-elle aussi, pas forcément explicitement, la complicité de fait des institutions judiciaires (voire des autres) dans les violences faites aux femmes.

Conclusion

Certes, on peut gager que cette façon de dénoncer, échappée au contrôle institutionnel[4], ne soit pas de celles que l’on retienne pour un projet utopique de société pacifiée, aux rapports sociaux non conflictuels. Dans la situation présente, tel, justement, n’est pas le cas : la domination est effective, la violence omniprésente – faut-il rappeler qu’aucun groupe ni environnement social n’est épargné – et les contre-offensives aux conquêtes du mouvement féministes ardentes. Les masculinistes fourbissent leurs armes, la fachosphère décuple ses audiences via les réseaux sociaux, et le mythe du mâle castré par les prétentions égalitaristes des femmes se propage. Ce n’est pas étonnant. Et c’est dangereux. Chacun peut mesurer combien un semblable mythe – celui du patron castré par les droits ouvriers – a aujourd’hui envahi les discours et les pensées au point d’infester tous les univers discursifs, à certains bastions de résistance près.

 

[1] http://www.onvautmieux.fr/

[2] http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?11;s=1470691845;r=1;nat=;sol=0;

[3] Le taux de victimes qui portent plainte est dérisoire, le taux de plaintes qui sont enregistrées correctement par la police est dérisoire, le taux de plaintes qui aboutissement à un procès est dérisoire.

[4] En tout cas d’une institution entendue comme chose commune, traversant l’espace social et agissant sur lui avec plus ou moins consentement de la part des sociétaires.

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U
Tjrs agréable de retrouver ton blog;-) :-):-)
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