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I comme

"Parce que je vais crever moi ici et toi tu continueras ton absurde rituel en brûlant d’autres gueules que la mienne ! Je sais bien que t’en as rien à foutre mais j’te le dis : t’es un beau salaud ! J’ai cru comme tous les autres qu’il y avait place pour la beauté mais au final on crèvera tous comme des chiens !"

5 Avril 2014 , Rédigé par T.B. Publié dans #Poèmes

 

[Onomatopées : détonation sourdes, fracas d’explosion, cris]

 

Le canon, régulier comme l’horloge de la mort.

Au portemanteau, les cadavres : avec le steward du vestiaire complètement débordé. Des cris qui se font valoir : Un médecin, un médecin ! Casque + croix rouge sur les côtés : maigres recours de l’espoir.

Cette fois mon pote, il n’y aura aucun retour pour toi.

Les balles des mitrailleuses se font une raison contre les murs colmatés de sable en sacs. « Cette fois, on n’en aura aucun >! » mais la prochaine rafale rêve déjà de jambes et d’élans coupés, d’hommes glissés comme des pantins sur les rues brûlantes, cartes abattues ; de crânes trépanés et un nouvel art rouge pour déclarer ouverte la chasse sur les murs et des trépanations pour guérir ra-di-ca-le-ment l’erreur politique ou de quelle nature ?

Quel discours viendra-vous justifier messieurs, mesdames ? Vous justifier dans la nudité avachie et paisible de l’immobile mort ? Qui aura le courage d’expliquer vos mouvements d’éternité pourrissante, vos monuments d’absurdité, vos mains ouvertes ou crispées autour du copain fusil et vos poitrines arrachées où battent au vent les feuillets illusoires d’ultimes lettres ?

Quelle leçon de l’Histoire, cette Histoire que l’on aime à se raconter le dimanche en famille et tous les autres jours dans les cours d’école ou de cinéma, tirera-t-on de vos formes évanouies crucifiées de blanc dans d’anonymes cimetières ? Et fêtées annuellement d’immonde routine par les cortèges sans pitié, fleuris de figures de circonstance cérémonielles, palabrées de devoir de mémoire et de salut de la patrie.

La patrie, vraiment ? La liberté ? L’amour ?

Ou bien ce combattant seul et sans vérité dont les jambes cassées allongent le torse sur le sol, sans les ouragans de poussière de cinéma, sans les ralentis dramatiques, bien plutôt avec la rapidité coutumière des faits accomplis, des flagrants délits ; ou bien ce combattant seul et sans vérité aux bottes cirées frappé par l’infortune ou l’erreur de jugement, les bras ballants délivrés de tout fardeau. Sous ces nuages qui passent leur chemin.

 

[Une porte s’ouvre]

 

C’est le temps. Rien que lui. Il s’en va et l’on oublie. Les livres, les photos couleurs n’y changeront rien. Le documentaire, je n’y crois pas. Seulement l’art peut figer toute l’horreur, tout le sentiment. Mais qui pour se targuer d’avoir le vécu pour le comprendre ?

C’est le temps moi je dis. C’est-à-dire l’Homme qui s’écoule et se renouvelle. On a beau lui dire, il ne croit que ce qu’il voit, vit. Alors il s’y essaye, juste pour vivre, voir. Il tente sa chance, presque. Ensuite ? il dit ces mots pleins : « Plus jamais ! »

 

Des hommes, jamais vu, connus, serré aucune de leurs pinces. Étendus dans la poussière de l’Histoire.
Leur histoire !
D’actualité ? C’est à voir…
Moche ? oui sans doute.
Qu’est-ce que ça me fait : rien.
J’ai un avenir tout en possibilités, moi, le reste ça les regarde. J’ai un espace à construire. Des projets à réaliser. Changer le monde n’en fait pas, n’en fera jamais partie. Les cartes sont battues, la situation donnée. Il n’y a pas à changer les règles, c’est pour ceux qui n’ont plus le choix ça. Moi je pourrais. Les autres ? C’est moche à dire mais j’ai pas les épaules pour mettre tout le chagrin du monde dessus.
Je suis pas égoïste mais j’suis pas un héros : chacun sa merde.

 

[La porte claque]

 

Des nuages dans le ciel d’hiver. Bleu maladroit, peu sûr de lui qui tire au blanc sur l’horizon. Dur à regarder l’horizon, avec son fourbe soleil embusqué derrière le toit. Un avion qui traîne son rêve par-ci, par là. Et pas un pet de vent : toute la paix, la sérénité des éléments.

Alors imaginer qu’ailleurs ça meurt, ça crève de dalle et de malaria, qu’ailleurs ça se tire dessus, ça viole et ça torture ? C’est pas évident.

Sous la douche imaginer qu’y en a qu’ont pas à boire. Au resto, que le type assis là devant avec son gobelet tintant pour seule preuve d’humanité a rien bouffé de la journée. C’est pas évident. Et puis pas conseillé non plus : se torturer la conscience.

 

De la poussière d’étoiles. Juste la poussière alors, parce qu’y a pas de quoi être fier. Ça brille pas souvent l’humanité, sauf parfois du regard. Les coups d’éclats du siècle passé ont vu sur eux se refermer le lourd voile des spectacles terminés : back to reality. L’utopie, garde-la dans ton cerveau – l’est passée de mode à s’ky parait – même quand elle s’appelle égalité, liberté, justice. Ce sont des noms dont l’homme quotidien s’accommode mal, s’y empêtre les guibolles. Tous finissent par s’y casser la gueule, même qu’on les aide bien souvent. C’est qui le « on » : ceux qui font l’histoire. Monsieur Camus, nous on la subit, leur histoire, et où sont les artistes qui tireront les paroles de nos silences meurtris, de nos plaies indicibles pour nous faire avancer de nouveau ?

 

A bien regarder, on comprend que le monde est verrouillé. Le gros cadenas de l’argent, du capital comme ils disent, posé, lourd. La clé on ne nous la donnera pas, pour sûr. Il faudra aller la chercher. Mais comment autrement qu’en cognant, qu’en se battant. Qu’en soulevant les armes et l’usante question de la légitimité de la violence.

A-t-on le droit de tuer pour l’avènement d’un monde plus juste ?

A-t-on le droit d’augmenter, temporairement espère-t-on, la souffrance de l’humanité pour à terme, parvenir à la réduire de beaucoup ?

Et si on ne l’a pas, ce droit, doit-on se l’accorder ?

 

[pum pum pum en rythme font les doigts sur la tempe]

 

Chaque homme se débat avec son mystère.

S’il faut en rire ou pleurer, personne ne peut dire.

Maitre d’orchestre de ma petite tragédie sans public sans envergure. Parée de moire, dépourvue de gloire !

Qui l’eût cru, la guerre bat son plein dehors-la-loi ?

Qui l’eût cru, j’ai l’impuissance à tour de bras ?

Je cherche des mots que je ne trouve pas. C’est ridicule mais je voudrais bien qu’ils puissent relever les cadavres, tenir les mains des yeux en larmes, réparer, panser, que sais-je encore ?!

Comme c’est ridicule !

 

et parfois dans un élan de romantisme, je souhaite que la vie et moi en restions là

 

[cristallisés sous les porches des ectoplasmes]

 

Assis sur la terrasse du parc automobile devant tes yeux baissés la foule se presse vers ses lieux de devoir et d’habitude. Quelle gueule caches-tu sous ton bonnet et tes vêtements dépareillés ? Quelle histoire enfouie sous ta barbe sans collier ? Quel châtiment fuis-tu avec tes chiens ? On devine que ton corps mou - tes vertèbres ne porteront plus longtemps la déchéance qu’on projette dans tes yeux dans ton âme - ne bougera pas de la journée, inattentif au lent tour de piste du soleil. La piste, tu en as la poussière et pas les spectateurs : qui te regarde ? Ce sont seulement des ignorances, des veuleries, des dégoûts qu’on te jette comme des petites monnaies de cuivre et pas un seul salut. Des bonnes consciences qu’on s’achète au rabais. Et ces pieds plus loin qui dépassent de la sale couverture, et ces formes qui remuent dans des cartons, maigres abris du vent, et ces pendules hirsutes qui sonnent avec leurs mains de gobelets le long des couloirs du métro, sont-ils comme toi, comme moi ?

Ce ne sont pas des hommes ; ce ne peuvent être que des cauchemars !

Quarante ans peut-être, habillé comme on se rend au travail. Avec tes valises sous les yeux que tu emmènes en vacances une fois l’an. Avec ton visage aux joues creusées par quoi ? On ne peut que l’imaginer : l’usure du jour le jour, de la famille à nourrir, du salaire à mériter. Tu crois encore que ceux qui le veulent réussissent. La loterie est truquée crois-moi. Avec tes petites mains fripées serrées contre tes genoux et tes yeux vides, avec ton jeans des beaux jours enfuis et la journée de travail qui te courbe déjà les épaules, avec ta fierté circoncise qui se cherche une place anonyme sur la banquette. Avec ton air de monsieur tout le monde et ton quotidien dont tu n’espères plus rien, avec ta 50cl dans la main et le mouvement hors-logique qui la porte régulièrement à ta gorge, tu veux les oublier les autres, ceux des promesses syndicales et des discours, ceux des tribunes et des plateaux télé, ceux des magazines et des villas que ta société leur construit. Tu es assis à ta place et tu serres tes genoux ; elle te semble encore trop grande pour ta petite condition, ta place ! Est-ce toi que j’appelle mon semblable ?

Ce ne sont pas des hommes ; ce ne peuvent être que des cauchemars !

Bronzé sans doute et la langue fleurie, pleine de verve, d’enthousiasme criard qui énerve les gens. Ces gens qui ont le regard dégoûté des « bicot rentre chez toi » qui te donnent de l’immigré et de l’intégration comme si tu avais attendu leur mesquinerie pour apprendre à exister dans ton quartier mal pavé où les sirènes de la police se font entendre devant les cafés vides de concert. Bronzé c’est sûr que devant ta peau ne tiennent pas les trois générations nées au pays : tu n’es plus de là-bas et on ne t’acceptera jamais ici : il faudrait que tu te fondes dans le moule, que tu leur ressembles, que tu prennes ce qu’ils te laissent : éboueur ou taximan, sauf si tu sais courir et jouer au ballon. Bronzé pour toujours et un ailleurs qui n’existe pas dans le cœur, avec ta musique commerciale et ta fashionista aveuglée de y-a-match-ce-soir, avec ton souci de plaire aux filles, de faire tomber toutes ces cascades décolletées prometteuses dans tes mains, avec ton rire exubérant et toute cette culture qu’on dit de la rue et que je comprends mal. M’appellerais-tu aussi frère ?

Ce ne sont pas des hommes ; ce ne peuvent être que des cauchemars !

Écroulé dans le brancard de ton passé, mal affalé sur le siège fragile de tes souvenirs : à quoi bon ? Que reste-t-il de la jeunesse qui fût la tienne ? Tu y croyais, hein ? Tout ce qu’on t’a dit. Bosser la semaine pour nourrir la famille, payer le loyer. Tout qu’a foutu le camp, sauf ta femme. Et ça tu le regrettes ? La retraite à soixante piges, on avait oublié de te dire qu’on ne te rendrait pas ta santé ? Ah ! Pauvre cloche ! Empoigne ta bouteille elle te rendra tous les rêves que tu voudras. Empoigne ta voix et tu pourras gueuler tant que tu voudras : ces têtes qui se retournent prouvent au moins que tu existes. Il n’y a que ça pas vrai, vivre comme on s’agrippe à un coin du jour qui fout le camp. Quel fils de putain ce soleil ! Ho salope tu m’entends ? Parce que je vais crever moi ici et toi tu continueras ton absurde rituel en brûlant d’autres gueules que la mienne ! Je sais bien que t’en as rien à foutre mais j’te le dis : t’es un beau salaud ! J’ai cru comme tous les autres qu’il y avait place pour la beauté mais au final on crèvera tous comme des chiens !

Allez pauvre alcoolique, vomis ton saoul de colère, crie tant que tu pourras.

Figures de ma ville, êtes-vous illusions ou humains comme moi ?

Ce sont des hommes et ce sont des cauchemars.

 

[colère]

 

Je ne veux pas laisser les historiens clore le siècle des révolutions et les yeux de la démocratie. La démocratie est une conquête permanente et je ne veux pas non plus que mon siècle soit l’otage de la violence. Il faut réapprendre à vaincre sans les colliers immondes dont les fleurs masquent les corps embaumés de ceux-qui-se-sont-sacrifiés-pour-la-cause.

Il me semble qu’avec l’homme moderne est née la douleur. De pair, main dans la main. Je ne crois que ce soit sa seule invention, Léo. Cette douleur, c’est la vie qui se tourne précocement vers la mort. L’homme est désarmé face à la mort et je souhaite qu’il le reste. Ce qu’il doit éviter à tout prix c’est qu’elle se produise par suite de sa politique. Que les décisions humaines entraînent la mort, sur place ou ailleurs, ne doit plus être accepté.

La douleur dont je parle, c’est la vie qui se tourne précocement vers la mort. Une vie qui bien souvent aura rimé loin de toute poésie avec ce mot hideux : misère. Misère du corps, de l’esprit, misère sociale, misère au sens économique. Et je sais et nous savons tous que l’humanité a en son pouvoir de faire cesser ces farces sinistres d’enfants affamés et de peuples menacés d’inanition. Et je sais et nous savons tous que l’appareil démocratique dispose à son bord des armes de parole et de paix qui promettent tous les espoirs.

 

[la ville est mêlée de cent sons qui paradent et s’enfuient]

 

Il ne faut jamais se battre par espoir. L’espoir menace l’action, l’espoir est fragile et petit, il peut se perdre. S’il faut se battre, ce n’est pas dans l’espoir de vaincre, ce n’est pas sous les auspices d’un futur prometteur, mais seulement et toujours pour défendre sa conscience. La morale commence peut-être par la pensée mais ne s’accomplit que dans le geste. La triste leçon que devra apprendre cette époque, ce pays circulaire pris dans sa spirale de possession est qu’on ne dispose jamais que d’une chose : soi dans son temps. Ce que je fais, dis, réalise m’appartient et personne n’aura le pouvoir de m’en déposséder. L’histoire n’a jamais fait aucun homme, seulement des pantins. Les hommes, elle les avale et les oublie sans doute.

La vertu, c’est de faire du temps qui m’est imparti œuvre de morale.

Deux temps : réfléchir, agir.

 

[ … quelque pages, quelques tomes : qu’est-ce que cela signifie ?!]

 

Les Espagnes, les Russies, les Mexiques
Les rouges refuges au creux des criques
Ce rubis couleur de feu et première brique
S’allongent au couchant ‘claboussées de soleil

Rêves éteints peuples endormis

 

De bain forcé en bain de sang ô Afrique
Punie de famines de dettes toxiques
Souffrance noire sous rire d’apparatchik
S’allonge au couchant malade de sommeil

Et qui bougera le plus petit orteil ?

 

- Pas moi, pas moi, ricane le petit citoyen !

 

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